Chapitre un
-Allez, la belle, le dîner est servi !
Le jeune rouquin humain boutonneux s’approcha de la cage où j’étais entreposée. Il fît passer une écuelle sale remplie d’un brouet malodorant.
Puis il attendit.
Au bout de quelques secondes d’attente, il repartit en maugréant. Qu’est ce qu’il espérait ? Un ronronnement de remerciement ?!
Pas folle, eh ! Un malpoli comme lui, même pas fichu de montrer un peu de politesse dû à mon âge…
Je bouge juste un peu de mon coin tiède où je m’étais allongée, pour aller renifler la mixture puante.
Je la jugeai immédiatement immangeable. Poisson pas frais, légumes en boîte minables… Pas que je sois habituée au luxe, mais je désire tout de même mieux que ça.
Néanmoins, je ne bougeais pas. Je restais assise, prostrée devant les barreaux, fixant droit devant moi.
J’ai pris habitude, il y a quelques années, de refuser plutôt souvent les offrandes humaines. Pourquoi les aurais-je acceptée ? Recevoir une pâtée dégoulinante de graisse, puant atrocement, en ronronnant de plaisir devant le bipède qui vous a arraché à vos frères et sœurs ne vaudra jamais mieux que le frisson de la chasse. Jamais.
La chasse, ce n’est pas seulement déchirer un corps tiède et rempli de vie. C’est aussi mettre en œuvre tout ce que vos parents et ancêtres vous ont appris, se retrouver corps et âme dans la vie sauvage. C’est plus que manger… C’est donner un sens à sa vie.
Du haut de mes huit années de vie sur cette planète, je n’ai jamais franchement apprécié les humains. Trop impatients, trop jouant aux maîtres du Monde.
La fourrière est un parfait exemple. Alors que vous vous débrouilliez vraiment bien, seuls dans la rue, à dévorer rats et oiseaux, on vient vous arracher à cette douce vie pleine de quiétude, pour vous mettre dans une cage, où vous serez probablement euthanasié.
Attention, je ne dis pas que la vie en ville est facile, loin de là. Mais elle est probablement plus juste et plus excitante que rester prostré dans une cage, en attendant son heure.
Enfin, je fus récompensée de ma patience. Le gardien au cœur doux, le seul que j’aie rencontré jusqu’alors, arriva vers ma cage, et vît la bouillie dans la gamelle.
-Alex !!!
Le gardien avait feulé de rage contre l’humain boutonneux. Celui-ci, sautant sur place, marcha lentement, la tête basse, vers son chef.
-Ou…Oui, patron ? Murmura-t-il.
-Voyons, Alex, je te l’ai déjà dit ! Elle, là (il me pointait du haut de sa griffe bien moins pointue que la mienne), elle a un autre dîner !
Il sortît de la pièce où retentissait les aboiements et miaulements quotidien, et revînt une minute plus tard, une gamelle pleine à ras-bord de morceaux de sandwich au jambon.
Voyant le museau piteux du bipède au poil roux, je n’eus qu’une envie : avoir les mêmes expressions que les humains.
En effet, si j’avais pu, j’aurais souri jusqu’aux oreilles.
Je commençais déjà à prendre une bouchée de ce met que, personnellement, je trouve raffiné.
Oui, je sais ce que vous allez dire. « Pourquoi acceptes-tu cette offrande là ? » La vérité est que cet humain, je le considérais un peu comme mon semblable. Dans un clan, il y a toujours un mâle ou une femelle qui rapporte la nourriture. En échange, on lui doit respect.
Et je dois dire que cet humain remplissait aisément cette tache. Moi, en tout cas, je m’en accoutumais fort bien.
En plusieurs bouchées, j’avais fini.
-Dites, Patron, demanda le jeune bipède, pourquoi elle a un traitement de faveur ?
-Parce que c’est une habituée, Alex.
-Une habituée ?
-Oui. Dés qu’on vient la chercher pour l’adopter, elle attend quelques jours, et pouf, elle disparaît. De nouveau quelques jours plus tard, on la retrouve, on l’installe, elle se fait adopter, et hop ! Tout recommence ! Mais le plus beau, c’est que ses maîtres ne viennent jamais la chercher.
-Pourquoi ne l’avez-vous pas euthanasiée, alors ?
-Parce que, mon jeune Alex, je me suis habitué à cette chatte. Malheureusement, cette fois, poursuivit-il en soupirant, elle en est à son dix-huitième maître.
-Dix-huitième ? Vous avez compté ?
-Oui.
Il marcha vers ma cage.
-Et cette fois, conformément à la Loi, je serais obligé de la tuer.
-Dés la dix-huitième fois, on est obligé de tuer ? Ca, je savais pas.
-Ce n’est pas inscrit dans la Loi, petit, mais personne ne viendra la chercher au bout de dix-huit fois. Elle est la bête noire du quartier. Au bout de cinq jour, je devrais faire mon boulot.
-Vous voulez dire trois jours.
-C’est ce que j’ai dis.
Il s’assit sur un tabouret, devant la cage d’un KC Spaniel n’arrêtant pas d’aboyer comme un fou.
Me croyiez-vous choquée, traumatisée ou morte de peur, dans ma cage, par l’annonce quasi-imminente de ma mort ?
Non.
Croyez-le ou pas, mais ce présage ne me faisait ni chaud ni froid.
J’avais huit ans, et ça fait beaucoup, en années félines. J’avais déjà bien vécu, et j’avais eu un nombre de portée digne du livre des records. De quoi me serais-je plains ? Ma partie était finie. Le temps était venu de céder la place à un autre joueur.
*
L’humain au cœur doux n’avait pas tort. J’étais la bête noire du quartier. Pire que la bête du Gévaudan.
J’avais en effet renversé de nombreuses poubelles, agressées de nombreux chiens et chats, et piquée pas mal de bouffe aux étals du marché du coin.
Mais la goutte qui avait fait déborder le vase était un perroquet dont je m’étais régalée.
Les étals avaient étés rentrées pour l’hiver, les moineaux étaient beaucoup plus durs à attraper, je crevais de faim.
Le propriétaire du perroquet, me prenant sur le fait, m’avait illico conduite à la fourrière, et il avait violemment insisté pour que je sois euthanasiée au plus vite.
C’était la dernière fois que je me retrouvais dans cette fourrière. Le décès du volatile remontait au jour précédent.
J’attendais tranquillement mon heure.
La journée passa, longue, monotone et triste. Que voulez-vous faire dans une cage ?
Le bruit incessant me rendait presque sourde. Moi, je ne miaulais pas. Je ne disais rien.
Qu’aurais-je eu à dire ?
Puis une autre journée passa. Je la passais à dormir.
Puis vint « le »jour.
Un matin de janvier normal.
On devait geler, dehors. C’était le seul avantage que je trouvais à la fourrière.
L’humain au cœur doux me regarda avec des yeux tristes. Puis il ouvrit la porte de la cage.
A voir sa tête, je me doutais que ce n’était pas pour me faire adopter (de toutes manières, je n’avais vu aucun bipède, la période de Noël étant déjà passée).
Il me fît renifler sa main. Mais cette odeur, je la connaissais par cœur.
Odeur d’autres chats, odeurs de chien. Odeur de croquettes, odeur de pâté. Il vérifia que je n’avais pas d’allure menaçante, puis me couvrit le poitrail avec ses paumes.
Mais je sais bien cacher mon jeu. A peine m’avait-il sortit de la cage que lui griffais violemment la main.
Il poussa un petit gémissement de douleur, et me lâcha.
Je ne voulais pas m’échapper, et je ne voulais pas non plus lui faire grand mal (d’ailleurs, comment me serais-je échappée ? La porte était fermée). Mais je déteste qu’un humain me touche, même celui-là. A chaque fois que l’humain doux me prenait pour me donner à mes nouveaux maîtres, il mettait des gants. Ca ne m’empêchait pas de le griffer, mais avec cette protection, au moins, il ne sentait rien…
La suite bientôt. =)