Mémoires d'une minette...

Chapitre un

-Allez, la belle, le dîner est servi !
Le jeune rouquin humain boutonneux s’approcha de la cage où j’étais entreposée. Il fît passer une écuelle sale remplie d’un brouet malodorant.
Puis il attendit.
Au bout de quelques secondes d’attente, il repartit en maugréant. Qu’est ce qu’il espérait ? Un ronronnement de remerciement ?!
Pas folle, eh ! Un malpoli comme lui, même pas fichu de montrer un peu de politesse dû à mon âge…
Je bouge juste un peu de mon coin tiède où je m’étais allongée, pour aller renifler la mixture puante.
Je la jugeai immédiatement immangeable. Poisson pas frais, légumes en boîte minables… Pas que je sois habituée au luxe, mais je désire tout de même mieux que ça.
Néanmoins, je ne bougeais pas. Je restais assise, prostrée devant les barreaux, fixant droit devant moi.
J’ai pris habitude, il y a quelques années, de refuser plutôt souvent les offrandes humaines. Pourquoi les aurais-je acceptée ? Recevoir une pâtée dégoulinante de graisse, puant atrocement, en ronronnant de plaisir devant le bipède qui vous a arraché à vos frères et sœurs ne vaudra jamais mieux que le frisson de la chasse. Jamais.
La chasse, ce n’est pas seulement déchirer un corps tiède et rempli de vie. C’est aussi mettre en œuvre tout ce que vos parents et ancêtres vous ont appris, se retrouver corps et âme dans la vie sauvage. C’est plus que manger… C’est donner un sens à sa vie.
Du haut de mes huit années de vie sur cette planète, je n’ai jamais franchement apprécié les humains. Trop impatients, trop jouant aux maîtres du Monde.
La fourrière est un parfait exemple. Alors que vous vous débrouilliez vraiment bien, seuls dans la rue, à dévorer rats et oiseaux, on vient vous arracher à cette douce vie pleine de quiétude, pour vous mettre dans une cage, où vous serez probablement euthanasié.
Attention, je ne dis pas que la vie en ville est facile, loin de là. Mais elle est probablement plus juste et plus excitante que rester prostré dans une cage, en attendant son heure.
Enfin, je fus récompensée de ma patience. Le gardien au cœur doux, le seul que j’aie rencontré jusqu’alors, arriva vers ma cage, et vît la bouillie dans la gamelle.
-Alex !!!
Le gardien avait feulé de rage contre l’humain boutonneux. Celui-ci, sautant sur place, marcha lentement, la tête basse, vers son chef.
-Ou…Oui, patron ? Murmura-t-il.
-Voyons, Alex, je te l’ai déjà dit ! Elle, là (il me pointait du haut de sa griffe bien moins pointue que la mienne), elle a un autre dîner !
Il sortît de la pièce où retentissait les aboiements et miaulements quotidien, et revînt une minute plus tard, une gamelle pleine à ras-bord de morceaux de sandwich au jambon.
Voyant le museau piteux du bipède au poil roux, je n’eus qu’une envie : avoir les mêmes expressions que les humains.
En effet, si j’avais pu, j’aurais souri jusqu’aux oreilles.
Je commençais déjà à prendre une bouchée de ce met que, personnellement, je trouve raffiné.
Oui, je sais ce que vous allez dire. « Pourquoi acceptes-tu cette offrande là ? » La vérité est que cet humain, je le considérais un peu comme mon semblable. Dans un clan, il y a toujours un mâle ou une femelle qui rapporte la nourriture. En échange, on lui doit respect.
Et je dois dire que cet humain remplissait aisément cette tache. Moi, en tout cas, je m’en accoutumais fort bien.
En plusieurs bouchées, j’avais fini.
-Dites, Patron, demanda le jeune bipède, pourquoi elle a un traitement de faveur ?
-Parce que c’est une habituée, Alex.
-Une habituée ?
-Oui. Dés qu’on vient la chercher pour l’adopter, elle attend quelques jours, et pouf, elle disparaît. De nouveau quelques jours plus tard, on la retrouve, on l’installe, elle se fait adopter, et hop ! Tout recommence ! Mais le plus beau, c’est que ses maîtres ne viennent jamais la chercher.
-Pourquoi ne l’avez-vous pas euthanasiée, alors ?
-Parce que, mon jeune Alex, je me suis habitué à cette chatte. Malheureusement, cette fois, poursuivit-il en soupirant, elle en est à son dix-huitième maître.
-Dix-huitième ? Vous avez compté ?
-Oui.
Il marcha vers ma cage.
-Et cette fois, conformément à la Loi, je serais obligé de la tuer.
-Dés la dix-huitième fois, on est obligé de tuer ? Ca, je savais pas.
-Ce n’est pas inscrit dans la Loi, petit, mais personne ne viendra la chercher au bout de dix-huit fois. Elle est la bête noire du quartier. Au bout de cinq jour, je devrais faire mon boulot.
-Vous voulez dire trois jours.
-C’est ce que j’ai dis.
Il s’assit sur un tabouret, devant la cage d’un KC Spaniel n’arrêtant pas d’aboyer comme un fou.

Me croyiez-vous choquée, traumatisée ou morte de peur, dans ma cage, par l’annonce quasi-imminente de ma mort ?
Non.
Croyez-le ou pas, mais ce présage ne me faisait ni chaud ni froid.
J’avais huit ans, et ça fait beaucoup, en années félines. J’avais déjà bien vécu, et j’avais eu un nombre de portée digne du livre des records. De quoi me serais-je plains ? Ma partie était finie. Le temps était venu de céder la place à un autre joueur.

                                                         *

L’humain au cœur doux n’avait pas tort. J’étais la bête noire du quartier. Pire que la bête du Gévaudan.
J’avais en effet renversé de nombreuses poubelles, agressées de nombreux chiens et chats, et piquée pas mal de bouffe aux étals du marché du coin.
Mais la goutte qui avait fait déborder le vase était un perroquet dont je m’étais régalée.
Les étals avaient étés rentrées pour l’hiver, les moineaux étaient beaucoup plus durs à attraper, je crevais de faim.
Le propriétaire du perroquet, me prenant sur le fait, m’avait illico conduite à la fourrière, et il avait violemment insisté pour que je sois euthanasiée au plus vite.
C’était la dernière fois que je me retrouvais dans cette fourrière. Le décès du volatile remontait au jour précédent.
J’attendais tranquillement mon heure.

La journée passa, longue, monotone et triste. Que voulez-vous faire dans une cage ?
Le bruit incessant me rendait presque sourde. Moi, je ne miaulais pas. Je ne disais rien.
Qu’aurais-je eu à dire ?
Puis une autre journée passa. Je la passais à dormir.
Puis vint « le »jour.
Un matin de janvier normal.
On devait geler, dehors. C’était le seul avantage que je trouvais à la fourrière.
L’humain au cœur doux me regarda avec des yeux tristes. Puis il ouvrit la porte de la cage.
A voir sa tête, je me doutais que ce n’était pas pour me faire adopter (de toutes manières, je n’avais vu aucun bipède, la période de Noël étant déjà passée).
Il me fît renifler sa main. Mais cette odeur, je la connaissais par cœur.
Odeur d’autres chats, odeurs de chien. Odeur de croquettes, odeur de pâté. Il vérifia que je n’avais pas d’allure menaçante, puis me couvrit le poitrail avec ses paumes.
Mais je sais bien cacher mon jeu. A peine m’avait-il sortit de la cage que lui griffais violemment la main.
Il poussa un petit gémissement de douleur, et me lâcha.
Je ne voulais pas m’échapper, et je ne voulais pas non plus lui faire grand mal (d’ailleurs, comment me serais-je échappée ? La porte était fermée). Mais je déteste qu’un humain me touche, même celui-là. A chaque fois que l’humain doux me prenait pour me donner à mes nouveaux maîtres, il mettait des gants. Ca ne m’empêchait pas de le griffer, mais avec cette protection, au moins, il ne sentait rien…

La suite bientôt. =)

Tain , C’est super O_O

Merci. =)

-Patron !
Le bipède au pelage roux venait d’arriver. Il avait vu son maître grimaçant de douleur, en serrant sa patte blessée.
-Patron… reprit le rouquin en me pointant de la griffe, c’est elle qui vous a griffé ?
Je m’étais caché sous le tabouret habituel de l’humain doux. Je savais qu’ils allaient me reprendre tôt ou tard, mais au moins, je gagnais du temps avant ma dernière correction.
-Ouais… répondit le maître avec un sourire au museau. Mais tu sais quoi ? Je ne peux pas lui en vouloir.
Il se déplaça vers le tabouret en massant sa main blessée. Puis il s’accroupit et regarda sous le siège, en fixant mes yeux.
-Cette chatte est intelligente, continua-t-il en se dirigeant vers le tiroir où il rangeait sa seconde peau (les gants). Elle a sans doutes compris ce qu’on allait lui faire.
-Quoi ? S’interrogea le bipède roux. Un chat peut pas savoir ça.
-Celle-là, si.
Le maître avait repris son air sérieux. Il avait enfilé ses protections, et enlevait déjà le tabouret.
Il me prît par la peau du cou avant que je ne m’enfuisse à nouveau. Mais je ne voulais pas m’enfuir.
Pour quoi faire ?
Il me cala contre sa poitrine, contre son uniforme.
Là, mon instinct de chat domestique reprît le dessus. Et j’esquissais mon premier (et mon dernier, du moins le supposais-je) ronronnement. Après tout, je ne l’avais jamais fait de ma vie, et c’était mon dernier jour sur cette Terre. Alors, m’étais-je dit, pourquoi pas ?
Non, vous avez bien lu.
Je n’ai jamais ronronné.
Pourquoi ?
Peut-être parce que je suis née tout d’abord dans un petit bois, puis que ma mère nous a transportés, mes frères et moi, dans le Nord, dans une ville.
Ou alors parce que je n’ai jamais permis aux humains de me connaître. J’aimais trop ma liberté.
Ou peut-être parce que mon père (qui ramenait des mulots à ma mère, je m’en souviens très bien) était un chat sauvage.
Tant de questions, si peu de réponses…
Quoi qu’il en soit, dés que j’eus poussé ce premier ronronnement, le maître tourna des yeux où se lisaient pleins d’émotions sur le bipède roux.
Mais il ne changea pas son objectif.
Il entra dans La Salle.
Il me posa, couchée sur le ventre, sur la table. Puis il remplit un bâton pointu d’un liquide.
Ce bâton, je le savais, les humains l’appelait : « Piqûre ».
Une petite peur naquit en moi. C’était la peur de la Mort, la peur du Noir éternel que tous les chats sauvages (même les hybrides, comme moi) connaissent et redoutes. C’est pour éviter le plus possible ce Noir absolu qu’ils se battaient chaque jour de leur vie. Leur faisais-je honte en acceptant ma mort ainsi ?
Mais je cessai de poser ces question, et présentais ma gorge au gardien.
Il allait juste planter l’aiguille dans mon cou, à peine à une longueur de griffe de ma carotide, lorsque la porte de la fourrière s’ouvrit.

                                           Chapitre deux

J’ai eu beaucoup de maîtres, dans ma vie.
Dix-huit, à dit l’humain aux yeux doux.
Mon tout premier maître après mon premier séjour en fourrière fût un homme. Il devait avoir dans les cinq ans (en âge félin, bien entendu), avait du poil brun sur le crâne et autour de la gueule.
Je n’avais qu’un an. J’étais un chaton.
Il m’avait regardé avec de grands yeux, a dit quelque chose à l’humain aux yeux doux (à l’époque, je ne comprenais pas le langage humain), puis on m’a sorti de ma cage. J’étais tellement abasourdie que je n’ai pas un seul instant songé à griffer la main qui me caressait la tête.
On me posa dans une cage en plastique, avec des barreaux en fer, de couleur bleue.
On ne me voyait pas dans la pénombre. On ne voyait que mes prunelles vertes, grandes ouvertes.

Tu devrais le montrer à une maison d’édition :o

C’est ce que je compte faire. =)

L’humain au pelage brun emporta la cage. Nous sortîmes dans le parking de la fourrière. C’était une nuit d’été. Il était plutôt tard. J’entendis un petite double « bip », puis il me fît monter dans un engin étrange.
Plus tard, j’appris à leur donner un nom. « Voiture », disait l’humain doux. Ou parfois « Bagnole », s’il était de mauvais poil.
Mais, en ce temps là, je ne connaissais pas ça.
Un petite moment passa, qui dura pour moi une éternité. Les questions tournaient dans ma tête. Que me voulait cet humain ? Où allions-nous ? Pourquoi avais-je quitté la fourrière ?
Mais je ne percevais que le doux murmure de la route qui crissait sous les pattes de l’engin.
Je ne savais pas ce qu’on attendait de moi, mais ce dont j’étais sûre, c’est que je n’allais pas me laisser faire.
J’essayais de mordre les barreaux, lorsque je sentis que l’on s’arrêtait. L’humain me sortir alors de l’engin étrange.
Il traversa un petit allé de cailloux, et nous pénétrâmes dans ce que les humains appellent « maison ».
Dans cette « maison », il y avait énormément de jeunes bipèdes. Je ne saurais combien, en vérité. Mes souvenirs sont flous. Mais je me rappelle avoir vue une jolie petite humaine, d’environ de mon âge (un an environ en âge chat), avec du poil noir sur le crâne, se précipiter vers moi. Il y avait aussi une autre humaine, plus âgée, celle-là, avec les mêmes poils noirs que la fillette.
Celle-ci miaulait des choses incompréhensibles. Elle se jeta d’abord au cou du bipède brun, poussa un gémissement (qui devait ressembler à un cri de joie), et commença à approcher sa patte de ma tête.
Je n’aimais pas du tout ça. Ma tête était l’endroit de mon corps, après ma gorge, le plus sacré. Je laissais à peine ma propre mère y toucher, c’est dire…
Comme l’humaine était jeune, je me hâtais d’abord de la prévenir. Je couchais mes oreilles, hérissais mon poil du cou, et remuai la queue, mais elle sembla ne pas comprendre. Elle continuait à me gratter maladroitement le haut du crâne.
« Je t’avais prévenue », pensais-je. Je me jetais sur elle, et lui griffais les joues, pas trop fort non plus. C’était une correction que notre mère, à moi et mes frères, donnait assez souvent.
Mais elle, ne semblait pas habituée, comme moi, à ce genre de traitement. Elle me lâcha, et se couvrit les joues avec ses mains en gémissant de douleur. Elle alla vite s’accrocher à la femme au pelage noir, qui semblait choquée et consternée.
Les petits humains, eux, paraissaient scandalisés. L’autre, celui qui m’avait amenée ici, était tout rouge de fureur. Et, avant que je ne puisse faire un geste, il m’empoigna le cou, et me frappai.
C’était des gifles, aussi je n’avais pas tellement mal, mais j’étais choquée. Pourquoi ce bipède me punissait-il ? N’avait-il pas vue comme la fillette m’avait menacée ?
A cette époque, je ne savais pas que les humains étaient aussi hypocrites. C’est pourquoi, toujours ébahie, je me laissais gifler, alors que les « pourquoi » résonnaient dans ma tête

Si ça devient un livre , je serai la première à l’acheter :smiley:

Merci. =)

                                                         *

Finalement, la petite ne me toucha pas de toute la soirée. Elle me regardait craintivement.
Moi, l’homme m’avait montré un bac de litière, un coussin très mou, et deux gamelles, l’une remplie d’eau, l’autre pleine de croquettes au saumon.
Comme je mourrais de faim, je grignotais quelques croquettes, mais pas plus. Je ne voulais pas perdre ma fierté.
Mais je bus tout de même toute la gamelle d’eau. Comme le vacarme dans la salle n’arrêtait pas de s’amplifier, je me dirigeais vers ce qui devait être l’endroit où dormait la fillette.
C’était un endroit, calme et paisible. Je ne me rappelle malheureusement pas comment était la pièce, mais je peux vous dire que je m’y suis endormie de bon cœur.
Je me suis éveillée le lendemain. Le jour commençait à pointer par la petite fenêtre.
Je m’étirais longuement, puis m’apprêtais à sortir, quand je vis que la petiote dormait toujours. Je sortis donc en faisant le moins de bruit possible. Pas que je respecte le sommeil des humains, mais je refusais de recevoir de nouveau une correction.
Je retournais dans la salle où j’étais arrivée la veille, et vis qu’il n’y avait personne.
J’en profitais donc pour voir s’il y avait une issue possible. Rien à faire.
La porte était fermée, la fenêtre aussi, et je ne voyais pas où je pouvais aller d’autre.
Je décidais donc d’attendre. Après tout, la patience n’est-elle pas le meilleur atout du chat ?
Les deux humains adultes arrivèrent quelques temps plus tard. L’homme me fixa d’un regard sans expression. Je fis de même.
La fillette, elle, arriva encore plus tard. Ses poils étaient tout ébouriffés, et elle faisait une drôle de tête. Elle me regarda, et sembla hésiter. Finalement, elle me caressa la tête.
J’avais du mal à supporter ça, mais, ne tenants pas à recevoir une nouvelle correction, je me contentais de baisser les oreilles.

                                                         *

Plusieurs jours passèrent. Je vis souvent la petite humaine. A présent, j’acceptais ses caresses, mais pas souvent.
Je ne l’aimais pas, et elle non plus. Elle m’aimait comme un objet, un jouet qu’on lui avait offert. Et moi, je ne supportais pas ça.
Je décidais de partir dés que l’occasion se présenterait. Elle se présenta, mais pas comme je l’avais prévue…
Environ deux semaines après mon arrivée dans cette maison, je rencontrais un autre chat. C’était un gros matou blanc, d’espèce persane, qui ne me plaisait guère.
J’étais avec la petite, dans le jardin. Lui, il est arrivé dans les bras d’une autre petite humaine. Elles ont discuté un instant, puis elles sont parties à l’intérieur, en me laissant seule avec ce gros matou.
Il avança lentement vers moi, les oreilles couchées. Il ressentait de la peur, ça se voyait. Mais pourquoi ?
Puis je me souvint. Je me souvint de mes origines sauvages. Lui, il était un chat domestique, un chat ayant perdu sa fierté, un chat rendu abruti par les humains et par les pâtées trop grasses.
J’étais différente de lui. Et il le sentait. En un mot : il avait peur.
Mais son courage étant égale à son poids, il parvint à se hisser vers moi, et esquissa un ronronnement, pour m’inviter à jouer.
J’étais jeune, j’étais joueuse. Aussi, malgré nos différences, j’acceptais avec joie.
Nous jouâmes à nous battre pendant plusieurs heures. Puis il partît, dans les bras de la gamine qui était venue. Finalement, je ne l’ai plus revue, mais le mal était fait…
Pourquoi est ce que je dis ça ? Attendez la suite…
La soirée se passa normalement. Quoique…
Oui. Quelque chose me revient, à présent…
Une minuscule boule grise, à peu près de la taille de ma patte, avait traversé le tapis du salon. La fillette avait hurlé, comme si cette petite chose pouvait lui faire du mal, et les deux adultes ont fais des moues désespérées.
-Jean, dit la femelle, il faut faire quelque chose à propos de cette souris ! Ca me rends folle ! Cet après-midi, cette sale bête a mangé une de mes factures !
-Je veux bien, a répondu le mâle en grognant. Oh, mais tu sais quoi ? On a un chat ! Et cette saloperie de félin n’y fait même pas attention !
« Evidemment que je m’en fiche, imbécile, grognais-je intérieurement. Et même, votre désarroi me rend plutôt heureuse ! »
Cette souris ne m’avait rien fait et j’étais nourrie (en effet, les merles du jardin étaient bien gras et succulents).
Je décidais donc de les ignorer, et je poursuivis ma sieste.
Pendant la nuit, j’eus grand soif. Je m’éveillais donc, pour aller boire, lorsque je vis la bestiole en question en train de manger mes croquettes.
« Alors là, non, pensais-je. Hors de question que je la laisse faire ! »
Pour ne pas me faire repérer, je fermais les yeux, de façon à ce qu’elle ne voie pas mes prunelles vertes. De toutes façons, je me guidais à l’odeur.
La souris me repéra trop tard. Je me jetais sur elle, et je la mangeais, comme tout bon chat.
Puis je me rendais compte de mon erreur. J’avais rendu service aux humains. Cela faisait presque de moi un bon matou.
D’un autre côté, même si je détestais ces croquettes (ou plutôt la façon dont je les avais), je n’allais pas me faire piquer quelque chose qui était à moi ! Simple question de bon sens !
Rassérénée par ces pensées, je m’endormis, le ventre plein.

Un peu plus d’un mois plus tard, un matin de fin d’été, j’entendis la fillette s’exclamer :
-Papa, Maman ! Y’a des p’tites boules qui sont accrochées à Betty (un sobriquet douteux, mis en place par la petite humaine) !
Ils accoururent, puis virent de leurs propres yeux les « p’tites boules ».
C’était des boules adorables, et que j’aimais déjà de tout mon cœur, comme n’importe qu’elle mère.
Ils avaient l’air étonné, les deux adultes. D’ailleurs, en ce moment précis, j’avais envie de les griffer.
Ca se voit, quand même, quand une chatte est enceinte ? Non ?

                                                         *

En tout cas, eux n’ont pas eu l’air content. Je me demandais bien pourquoi. Ces petits étaient les miens, je les adorais, donc, mais à mon âge, je ne pouvais envisager qu’on ne les aimes pas.
Ils ont un peu criés, puis ils se sont calmés, sont partis de la pièce.
Il y’en avait trois, ces chatons : Une femelle, toute noire, mais avec le nez aplati des persans, et deux mâles avec le pelage blanc et le nez aplati aussi.
Ils passaient leur temps à téter et à dormir. Ils étaient bien top jeunes pour chasser tous seuls, bien sûr. Mais je me disais que j’allais leur apprendre plus tard…
Deux mois passèrent. A partir de là, ce fût le chaos.
Un couple passa un jour dans la maison. « Pour voir les chatons », qu’ils disaient.
Je me demandais bien pourquoi. Toujours est-il que mes maîtres les accueillirent avec joie.
Ils les amenèrent dans la salle à manger, et j’entendis quelques mots, comme : « Grande maison », « Gambader », « Bonne nourriture », et : « Très bons soins ».
Je comprenais vraiment pas. Puis je me dis :
« Après tout, en quoi ça me concerne ? Laissons-les faire leurs affaires d’humains. »
Je retournais donc dans le carton aménagé par les deux bipèdes pour les petits.
Ils étaient déjà grands. La femelle était téméraire et bagarreuse. Le premier mâle, lui, était peureux et endormi. Le deuxième, lui, était un peu craintif et méfiant, mais très joueur.
Le lendemain, le couple d’humains inconnu revint. Mis cette fois, ils ne repartirent pas les mains vides.
Ils embarquèrent mes petits.
J’étais estomaquée. Je n’avais eu le temps de rien leur apprendre, ni la loi de la rue, ni les passions de la chasse, et encore moins la révolte contre les humains.
Ils partirent dans une caisse, en miaulant de peur et de tristesse. Je ne les revis plus jamais…

'Chuis impressionée

=)

Ma rage n’avait pas de limites. Mais elle ne fît que grandir, lorsque l’humain mâle dit :
-Bon débarras !
Je n’en pouvais plus. Alors j’ai couru dans la maison, j’ai éventré le hamster de la petite, j’ai déchiré les draps du lit du couple, ainsi que leurs vêtements, j’ai réduit leur canapé en charpie, et plein d’autres choses impossibles à énumérer.
Ils ne m’avaient pas vue. Ils étaient tous trois partis au restaurant dés que les petits furent partis.
Le soleil brillait. Le portail était ouvert.
J’ai sauté sur l’occasion. Et je suis partie, en pleurant intérieurement sur le destin de mes chatons.
Alors, leur vie allait-elle se résumer à ça ? A se goinfrer de pâté, à jouer avec des souris en caoutchouc, et à ronronner toute la journée pour des animaux faibles et lâches (j’ai nommé : les humains) ?!

Plus tard, je retrouvais avec bonheur les rues de mon enfance. Après plus de trois mois chez la fillette, ma vie sauvage m’avait sacrément manqué. Je dévorais avec bonheur les pigeons et les tourterelles.
Je dû arrêter de penser à ma première portée, car une autre me tomba sur les bras…
Le jour après leur départ, la fourrière me rattrapa.
J’eus un nouveau maître. Un ado en pleine crise, qui me donnait la nausée, avec tous ces boutons. Je m’enfuis deux semaines après.
Puis j’en eux de nouveaux… et la suite, vous la connaissez.
J’eus beaucoup de portées. Mais je prenais bien garde à ne pas les laisser aux mains des humains.
Mais jamais je ne me permit de m’attacher à un de mes maîtres. J’écourtais le plus possible mes séjours chez eux. L’histoire de ma première portée me restait en travers de la gorge.
Je fis en sorte de me comporter en une sorte de bête sauvage, aimant le sang et la guerre. Les humains ne m’aimaient plus : Ils m’abandonnaient.
Et nous étions tous deux parfaitement heureux.
Aussi, je vous en conjure, s’il y a des humains qui lisent ce récit (ce dont je doute fort), essayez de… de…
Bah. Pourquoi est-ce que je vous le dirais ? Les humains ne changeront jamais. Jamais.

                                           Chapitre trois

Lorsque la porte de la fourrière s’ouvrit, laissant paraître un peu d’air froid dans la pièce, ma vie entière défila sous mes yeux.
S’il y a ici des personnes (humains, chats, ou autres) qui on risqués leur vie en faisant des choses dangereuses, je suppose qu’ils savent ce que l’on éprouve.
D’abord, une drôle de sensation de « déjà vu », et puis une espèce de frisson bizarre.
J’éprouvais ces choses là.
L’humain qui tenait la seringue la lâcha, trop heureux de ne pas avoir à m’exécuter.
Il me prît dans ses bras, et sortit de La Salle, pour m’emmener vers l’entrée.
Là, une ravissant dame blonde, habillée chaudement, parlait avec l’humain boutonneux.
Celui-ci, voyant son chef qui arrivait, dit à la femme :
-Ah, euh… et voici Monsieur Crouzet, mon supérieur.
-Enchantée, dit la femme.
-De même, répondit l’homme qui me tenait.
Il s’était mis à serrer la main de la femme, en souriant sous sa barbe châtain.
Derrière elle, timide, se tenait un petit garçon, au même poils blonds, de neuf ou dix ans (en âge humain).
Il me regardait comme un vieux chat efflanqué regarde une cuisse de poulet.

J’m bien le truc de la cuisse de poulet et du chat :smiley:

=)

T’aimes, alors?

-Monsieur, demanda la femme, ce chat… Est-il à donner ?
L’humain doux sourit encore, puis fit :
-Bien sûr ! Même plutôt deux fois qu’une !
Trop content de ne pas à avoir à faire son boulot, il n’informa pas la femme sur mon passé.
Moi aussi, je l’avoue, j’étais un peu soulagée. Au pire, je n’aurais qu’à m’échapper…
-Bonjour, me dit soudain le petit humain d’une voix douce comme du lait chaud. Je m’appelle Daniel.
Je pensais qu’il allait me caresser, ou quelque chose du genre, mais il ne fit rien. Il n’avait fait que parler, mais d’une voix si douce, si rassurante, que, je le jure, j’aurais tué pour l’entendre à nouveau.
-Comment vas-tu l’appeler, mon ange ?
L’humaine avait mit fin à mes rêveries. Le nom. Evidemment. Je me demandais d’ailleurs depuis de nombreuses années pourquoi les humains s’entêtaient à me trouver un nom. Encore une coutume étrange.
-J’sais pas, continua le petit de sa voix douce. Je crois que je vais pas lui en donner.
-Mais, il faut bien, pourtant, s’entêta la femme. Si tu veux l’appeler, comment feras-tu ?
-J’irais la chercher.

La logique du petit humain me donnait envie de rire. C’était enfantin, mais tellement logique, que s’en était drôle.

On m’emmena dans une cage de transport. Le voyage en voiture dura un petit moment, mais ça allait, dans l’ensemble.
Le petit garçon me regardait intensément.

Enfin, nous nous arrêtâmes devant une maison. Une maison aux murs blancs, un peu sales , avec deux étages. Tout autour, il y avait une sorte de grand portail blanc, avec une espèce de jardinet. Une girouette en forme de chat allongé surplombait le toit.
La femme me sortit de la cage. Elle m’emmena dans la maison. Le petit se tordait les mains nerveusement. Je me demandais ce qui le mettais dans cet état…
La femme posa la cage par terre, et ouvrit la petite grille. Elle voulut me sortir, mais le petiot l’interrompit :
-Laisse, maman. Un chat, ça doit découvrir seul son environnement.
La femme acquiesça, et retira ses mains.
Je ne sais pas si vous le savez, mais les chats peuvent être à la fois casaniers et curieux. L’un n’empêche pas l’autre.
Aussi, bien que je me méfie des humains, je me dirigeais résolument dehors.
Je ne m’attarderais pas sur la description de la maison. Cela ne ferait que ralentir le récit, je pense.
Le petit garçon me regardait en souriant. Puis il se leva, et dit à sa mère :
-Bon, je vais regarder la télé… Il faut qu’elle découvre seule la maison.
-D’accord, répondit l’humaine. Je vais faire le dîner.

Aussi peu d’insistance m’étonna grandement. Les humains n’étaient pas comme ça, d’habitude…
Mais je décidais de remettre l’exploration à plus tard. J’étais fatiguée. N’oublions pas que j’avais failli mourir…
Je me couchais donc sur le coussin aménagé. J’étais trop fatiguée pour réfléchir. Dormir… Oui, dormir.

J’adore même :o

=)

                                                         *

Le lendemain, je me réveillais avec l’humain penché sur mon panier. Je me relevais d’un bond. Ce vilain môme m’avait surprise…
-Désolé… dit-il de sa voix mélodieuse. Je voulais pas te réveiller… Bah…
Il se tourna vers la gamelle, pleine à ras-bord de croquettes. Je n’y avais pas touché, comme vous vous en doutez…

-T’aimes pas ça ?

C’était la première fois qu’un humain me demandait mon avis. Autant vous dire que j’étais choquée !
Aussi, je ne fis rien d’autre qu’un grognement de dédain sur la gamelle.
-J’ai pigé. Je sais ce qu’il te faut.
Il se leva, et courut vers la pièce à manger. J’entendis de nombreux bruits. Ferraille qui touche un objet, porte qui claque, tiroirs qui s’ouvrent…

Finalement, le petit gamin revint avec une assiette pleine. De quoi ? Même aujourd’hui, je ne saurais le dire. En tout cas, c’était fichtrement bon.
-C’est du poulet d’hier soir, dit le petit. C’est plein de protéines. Et j’ai retiré les petits os… Pour pas que tu t’étouffes.
Je dois avouer que je mangeais si vite que je ne l’entendais pas beaucoup. J’avais perdu toute dignité.
Soudain, je prenais compte de ma posture. J’étais debout, le museau dans la volaille, les poils pleins de graisse et de sauce. Je montrais là une bien piteuse image de ma race.
Je décidais d’arrêter là. Je lui avais donné suffisamment de joie pour aujourd’hui. Que dis-je ? Pour dix, vingt, trente ans !
Je m’assis, le dos droit, et je me léchais longuement. L’hygiène corporelle est très importante pour nous, félins. C’est idiot de dire que les chats de gouttière sont toujours sales. Ils se lavent encore plus souvent que les domestiqués.
Lui ne cessait pas de me regarder. Ca en devenait presque gênant. Embarrassant.
Dites-le comme vous voulez, bref, je ne me sentais pas à l’aise.
Je me levais donc, et décidais de vérifier les issues.
Le petit me suivit du regard. Il s’assit sur le canapé. Puis il fit une chose étrange.
Il tapota le coussin à côté de lui.
Par mes origines domestiques, je savais ce que cela signifiait. Il m’invitait à m’asseoir près de lui.
Mais pour quoi faire ? Il était un humain. J’étais un chat.
Tout nous éloignait, non ?
Et je ne pouvais pas m’empêcher de repenser à mes premiers maîtres. Ma pire des expériences…
Ni une, ni deux, je me détournais de lui, et j’allais presto vers un endroit plus adapté pour l’envie que j’avais.
Le bac à litière était fort confortable, ma foi.

O_O T’écris trop bien :open_mouth:

=) Meurssi beaucoup. -

encore une histoire qui me fait monté les émotions… super ce truc sur la diférance, sur toute ces questions… whaaaa

Chapitre quatre

Je m’appelle Daniel Boudou. J’ai 10 ans, et, pour mon plus grand malheur, 150 de quotient intellectuel.
Certaine personnes penseront sans doutes que c’est une bénédiction. Pas moi.
Je suis chassé, ostracisé par les autres élèves, traité de grosse tête à tout va, et obligé de faire des fautes exprès pour ne pas avoir 20 à chaque contrôle…
Ma mère m’a donné ce carnet parce qu’elle pense que je n’arrive pas assez à m’exprimer. Tout faux !
Je fais des dessins, en cachette. Mon rêve, c’est d’être dessinateur. Pourtant, avec mon intelligence, je pourrais faire autre chose… Mais bon.
Toujours est-il que j’en ai marre. Je hais mon école. Et ça va être pire en septembre, lors de l’entrée en 6°…
Pourquoi ?
Parce qu’il y aura les 3° ! Ils ne me lâcheront pas !
Non, franchement, je me demande pourquoi on n’est pas riches comme Thomas Dufrock… Comme ça, maman pourrait me payer des études à domicile.
Mais je pense qu’à présent, ça va être moins dur. Avec maman, la semaine dernière, on a adopté une chatte. Elle allait juste être exécutée. Elle a eu beaucoup de chance.
Elle est farouche, et très belle. Malgré ses longues années, elle a une ossature puissante, et une agilité hors du commun.
Mais j’espère, malgré ses faroucheries, qu’elle sera un jour plus douce. Je ne veux pas l’abrutir ou la soumettre, mais simplement être son égal…
Pour une fois que je pourrais être l’égal de quelqu’un…
Mais je dois déjà partir. Sayonara.

Le petit gamin me lisait son petit livre à voix haute. J’étais perchée sur son bureau, allongée.
Je n’avais pas tout saisi, mais si j’avais bien compris, cet humain était chassé de son clan parce qu’il est plus intelligent…
C’était vraiment idiot ! Les clans ont besoin de membres intelligents… C’est même vital.
Les humains sont de biens étranges animaux.
Il sourit tristement, et dit :
-Tu aimes ?
Je ne savais pas comment lui répondre. J’avais un langage différent du sien…
Mais je trouvais rapidement une solution. Je fis un long miaulement, tout doux, gentiment.
Il dût comprendre, car il afficha un énorme sourire. Je ne sais pas pourquoi, mais cela me mit du baume au cœur.
Soudain, la voix de sa mère retentit :
-Daniel ! Viens, on mange !
Je sus alors que c’était la fin de notre « conversation ».
Malgré le frisquet mois de janvier, la petite fenêtre de la cuisine était restée ouverte. Je compris pourquoi en pénétrant dans la pièce. Cela sentait horriblement le cadavre brûlé. Ca empestait !
-Maman est pas très douée pour la cuisine, me confia le garçon à mes côtés. Je sens que ce soir, ça va être pizza pour tous !
-Bon ! D’accord ! J’ai lu 200° au lieu de 100… dit-elle en éventant l’épaisse fumée noire d’un torchon. Ce soir, pizza pour tous !
-Bingo, me souffla le petit en allant s’installer à table

je me doutait bien qu’il était comme la chatte… trés beau encore

Merssi. =3

C’est alors que je remarquais la fenêtre. Elle était ouverte, cela, je le savais. Mais la perspective de bien d’autres choses vrombissaient dans ma tête. Mes compagnons de gouttière. Les pigeons et les rats de caniveaux. Le vent froid et tranchant comme une lame de rasoir. Toutes les pensées des chats avant moi me revenaient soudain en mémoire. La liberté. La seule chose qui vaille la peine de se battre.
Je n’aurais pas dû hésiter. J’aurais dû foncer directement vers la fenêtre, hop, salut la compagnie, clic clac, disparue.
Au lieu de ça, je me suis perchée sur la gazinière encore tiède, puis je me suis tournée vers la porte restée ouverte. Par cette ouverture, je voyais la table à manger du petit et de sa mère –celle-ci se pendant au téléphone en commandant les pizzas. Et je vis ses yeux. Je vis la tristesse et la déception sur son visage. Il m’avait vu.
Même maintenant, j’aurais pût partir. Mais le voire ainsi, triste, et étonné, me fit ralentir l’allure.
Ma moitié sauvage me hurlait de me barrer en courant aussi vite que mes pattes le permettaient. L’autre, la domestique, celle que j’avais refusé d’entendre durant si longtemps, me glapissait encore plus fort de rester.
Je ne l’avais jamais écoutée, cette moitié là. Elle me faisait peur. J’avais peur de voir les changements que ça impliquerait en moi.
Mais, après tout, pourquoi précipiter mon départ ? Je n’étais là que depuis deux jours, après tout.
C’est pourquoi, malgré le dégoût que cela m’inspirait, je faisais demi-tour et trottinait sans joie vers le gamin, à présent réjoui.